Si l’encadrement des loyers était généralisé, que se passerait-il ?

Toujours à l’état d’expérimentation, l’encadrement des loyers actuellement appliqué dans certaines communes volontaires dont Paris, Lille ou Lyon, suscite depuis ses débuts des interrogations chez les professionnels et les propriétaires. La plateforme LocService.fr, via un sondage, a cherché à savoir comment réagiraient les bailleurs particuliers si ce dispositif finissait par être généralisé à tout le territoire. Par cette occasion, elle livre sa vision de la situation.

L’encadrement des loyers, mesure expérimentale née de la loi Elan de 2018 et initialement prévue pour cinq ans, est sur le point d’être prolongé de trois ans via le projet de loi « 3DS ». Le but, laisser le temps à davantage de communes de tester ce dispositif afin de modérer les hausses de loyers sur leur territoire. Par ailleurs, certains candidats à la présidentielle comme Fabien Rousselle se positionnent en faveur d’une extension de la mesure à toute la France. Mais est-ce réellement une solution pérenne ?

Des temps difficiles pour l’offre locative en France

La crise sanitaire n’a rien arrangé à l’état de l’offre immobilière en France. Ces derniers temps, les signaux négatifs se sont multipliés : diminution du nombre de logements en vente, crainte de crise du logement par les organismes HLM, multiplication des situations de tension inédites en province, retards pris sur les chantiers des logements neufs après les confinements, mobilité en baisse,… De nombreuses villes se retrouvent en pénurie de logements, à l’achat comme à la location, ce qui tire inévitablement les loyers à la hausse comme le constate le dernier Observatoire LocService 2022. Le seul fait que de nouvelles villes (Bordeaux et Montpellier en l’occurrence) aient souhaité adopter l’encadrement des loyers en 2022 est aussi en soi un indice que la situation se détériore.

En parallèle, la location touristique retrouve des couleurs : si on a pu constater une bascule des biens « Airbnb » vers le marché de la location classique durant les différents confinements, ce qui a temporairement soulagé l’offre locative dans les grandes agglomérations, le marché a tendance à revenir à la normale voire à dépasser les niveaux d’avant-crise. On ne peut donc plus compter sur ce paramètre pour espérer loger les candidats en recherche d’une location longue durée. Cela pourrait même s’aggraver si les locations « Airbnb » ne sont pas mieux régulées.

Dans ce contexte de manque d’offres, l’encadrement des loyers pourrait devenir un handicap supplémentaire.

Le risque de fuite des investisseurs et des propriétaires

Si 2021 a été une belle année pour l’investissement locatif, l’avenir semble au contraire pour le moins incertain. Avec le durcissement des conditions de crédit au 1er janvier 2022, les dossiers ont moins de chances d’être acceptés, ce qui peut d’une part pénaliser les investisseurs et donc réduire l’offre locative, et d’autre part contraindre des candidats à la primo-accession à rester locataires.

Sujet brûlant, les futures restrictions concernant la performance énergétique ont aussi de bonnes chances de dissuader certains investisseurs. Avec l’interdiction prochaine de louer des logements classés G, puis F puis E dans leur DPE, acquérir un logement pour du locatif deviendra sans doute de plus en plus difficile, et de nombreux propriétaires auront du mal à réaliser les travaux nécessaires. Résultat, un risque de désintérêt pour l’investissement locatif à la faveur d’autres placements plus intéressants, et un risque de revente de certains logements pour les sortir du marché locatif.

Enfin, les prix à l’achat étant en augmentation, se pose aussi la question de la rentabilité de l’investissement. Dans les villes où les loyers sont encadrés, si la hausse du prix d’achat ne peut pas suffisamment être reportée sur le loyer demandé, une trop faible rentabilité pourrait bloquer certains projets d’investissement locatif, ou les rediriger vers le secteur de la location saisonnière. Les chiffres du sondage présentés ci-après illustrent très bien ces éventualités.

De plus, avec le projet de loi 3DS, il est prévu que le pouvoir de sanction soit transféré aux mairies, ce qui devrait faciliter le contrôle et les poursuites envers les propriétaires qui ne respecteraient pas l’encadrement des loyers.

Comment réagiraient les propriétaires à une extension de l’encadrement des loyers ?

Sondage encadrement des loyers

On le voit, la situation paraît fragile du côté des propriétaires-bailleurs. Pour tenter de mieux percevoir l’état d’esprit de ces derniers, nous avons organisé un sondage parmi les abonnés à notre newsletter réservée aux propriétaires bailleurs, et auquel 718 ont répondu. A la question « De plus en plus de villes adoptent l’encadrement des loyers. Comment réagiriez-vous s’il était généralisé ? », la majorité des répondants ont répondu avoir l’intention de changer leurs plans dans cette hypothèse : revendre leurs biens (30 %), abandonner leur projet d’investissement (18 %), ou se réorienter vers la location touristique (11 %), soit près de 60 % au total.

On peut raisonnablement en déduire qu’une généralisation de l’encadrement des loyers en France risque d’entraîner des effets contre-productifs notables sur l’offre locative et, paradoxalement, ce sont les locataires qui seront les premiers pénalisés

Un choc d’offre, seule vraie solution pour réguler les loyers

Comme on peut le constater dans l’Observatoire LocService 2022, Paris est à peu près la seule grande ville française où les loyers au mètre carré ont diminué entre 2020 et 2021. Lyon et Lille, également soumises à l’encadrement des loyers, ont vu leur loyer moyen augmenter de l’ordre de respectivement +1,5 % et +4 %. On comprend donc qu’il y a d’autres facteurs en jeu : en ce qui concerne Paris nous avons noté une diminution nette de la tension locative (rapport entre nombre de demandes et nombre de logements) : de 5,61 en 2019, elle s’est effondrée à 1,71 en 2021 en raison de l’exode lié à la crise sanitaire. Lille a vu au contraire son niveau de tension augmenter, et Lyon est resté à un niveau équivalent. Il semble donc que le vrai sujet soit la tension locative plutôt que la présence ou non d’un encadrement des loyers.

Richard Horbette, le fondateur de LocService.fr, conclut : « Si l’encadrement des loyers semble soulager les symptômes pendant un temps, il ne faut pas oublier que c’est à la racine du problème qu’il faut s’attaquer : le volume d’offre disponible. Il est donc important d’envoyer les bons signaux pour non seulement construire dans les zones réellement tendues, mais aussi conserver la confiance des investisseurs privés qui détiennent près d’un quart du parc de logement en France (Insee). Notre sondage montre clairement l’influence désastreuse que pourrait avoir une généralisation de l’encadrement des loyers. Par ailleurs, il est indispensable de juguler le développement des locations touristiques dans les centres des moyennes et grandes villes, qui mécaniquement augmentent les loyers des locations longue durée par effet de raréfaction. Enfin, il ne faut pas négliger l’effet de la décentralisation sur le rééquilibrage des prix entre les villes : on le voit très bien en ce moment avec le phénomène des nombreux franciliens qui sont partis s’installer en région suite à la Covid-19.»

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